Le destin de Jean Dubuffet, peintre et sculpteur né au Havre en 1901, reste indissociable de l’art brut, notion qu’il théorise et popularise après-guerre. Intéressé par l’art hors des normes, celui des enfants, des fous et des marginaux, il est l’auteur d’une œuvre immense et protéiforme qui le place comme l’un des artistes les plus novateurs du XXe siècle.
Né dans une famille de négociants en vin, Dubuffet arrive à Paris en 1918 pour se consacrer à la peinture. Il fréquente l’Académie Julian qu’il quitte rapidement pour s’installer dans son propre atelier. Découragé par les académismes, inquiet de sa propre démarche, il peint par intermittence et continue de vivre du commerce du vin avant de se consacrer définitivement à son art en 1942. Dubuffet fait une entrée fracassante sur la scène artistique en inaugurant sa première exposition personnelle à la galerie René Drouin à Paris, le 20 octobre 1944. « Tout à fait exemptes d’aucun savoir-faire convenu comme on est habitué à le trouver aux tableaux faits par des peintres professionnels », selon ses propres mots, les œuvres de cet artiste encore inconnu provoquent un véritable scandale. Semblant contrevenir aux valeurs morales et culturelles, l’art de Dubuffet continuera de susciter l’incompréhension d’une partie du public, sentiment à peine dissipé aujourd’hui.
La démarche de Dubuffet est sérielle et se constitue en différents cycles accompagnés d’écrits théoriques. Sa pratique s’ouvre à de nombreux domaines : peinture, dessin, assemblage, musique, sculpture et architecture, avec pour point central, une farouche volonté « anti-culturelle », c’est-à-dire un rejet de tout académisme sclérosant. Cette posture irrévérencieuse le conduit à produire une œuvre riche, expérimentale, fantasque et originale, en dehors de tout courant artistique. En 1962 débute le plus célèbre et le plus long de ses cycles, celui de l’Hourloupe, qui l’occupe jusqu’en 1974. Elle compte plusieurs sculptures habitables, comme le Groupe des quatre arbres réalisé à la demande de David Rockfeller pour la Chase Manhattan Plaza à New York, ou la Closerie Falbala à Périgny-sur-Yerres, qui abrite aujourd’hui la majeure partie de la fondation que Dubuffet crée en 1973.
Attiré par l’art des personnes vivant en marge, Dubuffet acquiert progressivement une importante collection d’œuvres qu’il expose dès 1947 au sous-sol de la galerie Drouin, devenu le Foyer de l’Art Brut. Transférée en 1948 dans le pavillon parisien de la Nouvelle Revue française, prêté par l’éditeur Gaston Gallimard, elle prend le nom de Compagnie de l’Art Brut et suscite l’intérêt de nombreux artistes et intellectuels dont Claude Levi-Strauss, Henri Michaux et Joan Miró. La collection, qui regroupe 5 000 œuvres de plus de 130 créateurs, est finalement transférée à Lausanne où est fondée en 1976 la Collection de l’Art Brut. Dans L’Art brut préféré aux arts culturels, catalogue publié pour accompagner l’exposition qui se tient en 1949 à la galerie Drouin, Dubuffet précise sa définition de l’Art brut : « le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art, il déteste d’être reconnu et salué par son nom … »
Régulièrement exposée en Europe et aux États-Unis, son œuvre est consacrée dès sa première rétrospective institutionnelle au Musée des Arts Décoratifs en 1960, suivie en 1962 par celle du MOMA à New York. D’autres expositions importantes suivront, avec pour point d’orgue la Biennale de Venise en 1983, où la France dédie son pavillon à celui qui reste l’artiste le plus controversé et le plus admiré de la seconde moitié du XXe siècle. Parmi les nombreuses collections publiques possédant des œuvres de Dubuffet, citons le Kunstmuseum de Bâle, la National Galerie à Berlin, la Tate Modern à Londres, le Solomon R. Guggenheim Museum, le MET et le MOMA à New York, le Centre Pompidou et le Musée des Arts Décoratifs à Paris.