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Les tours de verre, 1952 | Grande Imanta, 1962

Jusqu'au 21 décembre 2024

Les tours de verre par Maria Helena Vieira da Silva et Grande Imanta par Alicia Penalba sont réalisées à dix années d’écart. À travers la fragmentation des lignes et des volumes, les deux œuvres interrogent la notion d’espace et révèlent tout le génie de ces deux artistes incontournables de l’après-guerre.

Maria Helena Vieira da Silva (1908 -1992)

Les tours de verre, 1952
Huile sur toile
60 x 73 cm

Alicia Penalba (1913 -1982)

Grande Imanta, 1962
Bronze
104 x 120 x 52 cm

Les tours de verre incarne les années 1950 de Vieira da Silva et sa grande période des paysages urbains. Brouillant les lignes entre figuration et abstraction, la construction graphique porte grâce au croisement incessant de lignes noires droites ou brisées une puissance qui structure le tableau dans son ensemble. Excellente coloriste, Vieira souligne cet agencement complexe par la couleur, brillamment employée, et relève l’apparente monotonie du gris avec des touches d’ocre, de jaune barite, de marron et, ici et là, de bleu cobalt ou de pâle cyan pour doter l’œuvre d’une luminosité saisissante.

Réminiscence de lieux visités ou imaginés, l’espace pictural semble se déconstruire sous nos yeux, révélant cette « ossature spatiale » évoquée par l’historienne de l’art Diane Daval. D’une verticalité caractéristique, elle se manifeste de manière évidente à travers la structure de ces deux grattes-ciel qui émerge sous les façades grises comme sorties d’un brouillard. Multipliant les points de fuite, la peintre dévoile une vue urbaine presque onirique empreinte de cette incertitude poétique qui paraît traverser toutes ses œuvres.

M.H. Vieira da Silva dans son atelier boulevard Saint-Jacques, 1957 © Clarissa Dreyer © Willy Maywald © Tous droits réservés

À son retour du Brésil en 1947, Vieira da Silva renoue avec la scène artistique parisienne et bénéficie rapidement d’expositions à Paris et à l’international. C’est le début d’une nouvelle étape de création pendant laquelle l’artiste passe d’études d’intérieurs dont elle sort pour se confronter à la villes et ses dédales inextricables.

La peintre déploie un vocabulaire plastique animé par des thèmes qu’elle explorera tout au long de sa vie : l’espace et la notion de perspective, la ville et les constructions urbaines, ainsi que la mémoire. Ceux-ci apparaissent dès ses années d’exil alors qu’elle se met à figurer des places ou des rues, notamment de Lisbonne. Vieira développera ces éléments visuels dans les années 1950 à travers des panoramas urbains aux compositions labyrinthiques, à l’image des Tours de verre.

Réalisée un an plus tard, son œuvre Les tours se fait le pendant des Tours de verre et met en lumière l’importance des recherches de Vieira autour du paysage urbain, et en particulier de ces tours qui ont manifestement été l’objet d’étude de plusieurs de ses œuvres.

Exposée à l’occasion de sa grande rétrospective « L’œil du labyrinthe » aux musées de Dijon et Cantini à Marseille, elle est conservée au musée de Grenoble ; Les tours de verre, elle, a fait longtemps partie du prestigieux ensemble constitué par Charles Zadok, grand collectionneur américain, aux côtés de Derain, Miró, Léger, Kandinsky ou Picasso.

“Ce qui est admirable dans l’œuvre de Vieira da Silva, c’est sa propre capacité à évoluer, à se sortir de ce noyau de complexification extrême.”

Florence Évrard et Isabelle Gozard

Alors que les sculptures d’Alicia Penalba connaissent un succès grandissant, les années 1960 voient l’artiste réaliser des œuvres de plus en plus ambitieuses et imposantes où elle explore différents thèmes liés à la nature et à sa métamorphose, tout droit inspirés de son enfance, où elle vécut plongée dans les paysages patagoniens. Végétaux et roches se mêlent aux mythes de sa terre natale, leurs formes transcendées par le bronze dans une « nature musicalisée, volontairement appauvrie, reconstruite avec peu d’éléments », commente Michel Seuphor.

Grande Imanta renvoie d’abord, dans son titre, au magnétisme et à l’énergie de la Terre autant qu’à une essence minérale que révèlent les différents pans de la sculpture, semblables à des fragments rocheux. Ceux-ci se concentrent autour d’un noyau central semblable à un aimant qui paraît les attirer et les repousser dans le même temps. Étude sur les origines du mouvement, l’œuvre confère une dimension cérébrale au travail de Penalba et s’inscrit comme une pièce maîtresse dans sa réflexion sur l’espace sculptural. Les vides laissés par les écarts entre les différentes parties du bronze deviennent vecteurs d’une puissance invocatrice qui mettent à nu les dynamiques internes du monde.

Penalba arrive en France en 1948. Peintre, elle abandonne alors complètement le pinceau pour s’employer à la sculpture : sa première pièce abstraite est réalisée vers 1951-52. Dès lors, elle gagne, elle aussi, une visibilité qui deviendra bientôt mondiale, attestant de la nature exceptionnelle de son travail.

Régulièrement, la pratique de la sculptrice se fait métaphore de son parcours personnel. Elle modèle d’abord ses bronzes verticalement, puis les lignes de force se déploient de manière plus horizontale dès la fin des années 1950 alors qu’elle s’épanouit dans son art et dans sa nouvelle vie à Paris. La décennie suivante, Penalba se dévouera justement à l’exploration de l’espace à travers différents procédés liés à l’idée de métamorphose et de monde naturel dont Grande Imanta se fait l’un des plus puissants échos.

Alicia Penalba dans son atelier à Montrouge © Jean Michalon © Archives Alicia Penalba

Grande Imanta, 3/4 © Dallas Museum of Art

Numérotée 1/4, cette sculpture est la toute première de la série à avoir été fondée, en 1962, parmi quatre autres et une épreuve d’artiste, par Susse Fondeur. Alicia Penalba travaillait étroitement avec la fonderie, aujourd’hui considérée comme la plus vieille fonderie d’art en France.

Un autre exemplaire, numéroté 3/4, est aujourd’hui conservé au Museum of Art de Dallas, aux États-Unis. La sculpture a également été présentée à de nombreuses reprises lors d’expositions majeures : au XVIIIe Salon des Réalités Nouvelles en 1963, lors de la rétrospective itinérante autour de l’artiste aux Pays-Bas entre 1964 et 1965, à la galerie Bonino à New York, à la Galerie d’art moderne ainsi qu’à la galerie Alice Pauli à Bâle, ou encore au Musée d’art moderne de la Ville de Paris à l’occasion de l’incontournable « Lam, Matta, Penalba. Totems et tabous » en 1968.

“Intelligente et passionnée, Penalba est sans conteste une des plus brillantes figures de la sculpture actuelle à Paris.”

Michel Seuphor

Atelier d'Alicia Penalba à Montrouge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour les deux artistes, l’espace semble être une dimension vitale qui symbolise la solitude, les peurs et les angoisses inhérentes à leurs personnalités respectives.

Dans le cas de Vieira, il s’agit d’un espace architectural qui part de l’intérieur, un espace domestique qui se projette ensuite vers l’extérieur dans sa vision des villes.

Chez Penalba, cet intérêt relève des aspects naturels du vaste paysage patagon, de la mer chilienne, des vents, mais aussi des rochers, des plantes, des coquillages et d’autres formes biomorphiques.

Victoria Giraudo

M.H. Vieira da Silva dans son atelier boulevard Saint-Jacques

Mises en dialogue, les deux œuvres reflètent les nombreux points communs entre les pratiques des deux artistes qui, à travers différents thèmes, inspirations et méthodologies, parviennent à délivrer des œuvres d’une grande proximité visuelle à travers des structures étonnamment similaires. Victoria Giraudo, commissaire d’exposition, attribue cet effet à leur dimension autoréférentielle, guidée par une expérience commune de l’exil, notamment, mais aussi de la solitude. En résultent des œuvres profondément existentielles.

Avec Vieira, les lignes tracées sur la surface de la toile se trouvent en perpétuel mouvement et s’entrecroisent à l’infini dans cette « incertitude » qui l’habitait en permanence ; Penalba, elle, est animée par l’idée de métamorphose et d’instabilité. Deux perspectives sur la vie et sur l’art en réalité très proches, que Les tours de verre et Grande Imanta incarnent pleinement.

Vue in situ, Maison de l'Amérique latine. Alicia Penalba, Hommage à César Vallejo, détail

À voir en galerie

 

Les tours de verre par Maria Helena Vieira da Silva et Grande Imanta par Alicia Penalba sont deux œuvres phares de l’exposition historique « Vieira da Silva / Penalba. Le chemin de la consécration ».

Au cœur d’un dialogue entre peintures et sculptures, le tableau et le bronze se répondent, le premier incarnant pleinement la période des années 1950 chez Vieira ; le second, un jalon fondamental dans la pratique de la sculptrice.

 

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