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Geer van Velde

1898 - 1977

La peinture de Geer van Velde rayonne d’une sensibilité contenue et d’un silence qui s’impose lentement à celui qui la regarde. Et pourtant, Samuel Beckett, l’ami fidèle, écrit que sa peinture « est excessivement réticente », et qu’elle « agit par des irradiations que l’on sent défensives ». Si pensée qu’elle soit, elle n’en est pas moins poreuse à la vie qu’elle féconde, passée dans une solitude indispensable pour préserver une œuvre fervente, introspective, refermée sur elle-même. L’artiste conduit son travail serein et lumineux, en s’absentant du monde, dans « une lutte sans merci », a-t-il confié. Un combat qu’il mène tôt avec la toile, animé d’une ascèse exercée en conscience. Celle-ci porte sur la perception de l’image en tant que réalité objective dont il revient à la peinture de rompre avec cette image représentée, au profit de l’extériorité spatiale lumineuse et cependant invisible. Une longue quête qui passe par les états successifs d’un « objet » jusqu’à sa stabilité dans l’espace.

Pour Geer van Velde l’extériorité est une intériorité. Il part des formes exactes de l’image dont il ne cherche pas tant l’expressivité que les modulations pour atteindre à l’invisibilité devenue à son tour tangible. Nous voici au cœur de la dialectique de Geer van Velde pour lequel « l’essentiel n’est pas le visible, mais notre monde intérieur. Invisible, je dirai même inexistant ». Il y a l’avant et l’après d’un processus de la succession d’états invisibles pour produire un glissement de l’image vers une invisibilité des choses jusqu’à ce qu’elle devienne à son tour une réalité. Après les années passées à Cagnes-sur-Mer entre 1939 et 1944, Geer s’oriente vers l’abstraction, dans l’attente d’une harmonie et d’une plénitude, sans renoncer à l’observation du motif.

La toile intitulée Méditerranée de 1946, encore proche de l’univers matissien, marque un tournant irréversible. Dans l’atelier de Cachan d’apparence serein, plane le doute pour un combat qui isole le peintre pendant des jours. « Etre malheureux est un luxe privé ». Tout prend son sens dans cette transmutation des plans qui se rompent et se reforment à mesure que l’on regarde, des intermittences où le temps est pensé comme espace, où du silence naissent des résonances. Le rituel est immuable. Geer van Velde commence par tracer au fusain les grands rythmes et les masses avant de recouvrir la toile d’une fine couche de blanc de zinc à l’huile appliquée sans diluant, laissant apparaître les traces du fusain. Vient ensuite l’étape des journaux collés pour absorber l’huile ce qui rend résistante la toile à laquelle il peut s’attaquer à partir d’un geste ralenti, soumis au support. Sa pratique simultanée du dessin accompagne sa conquête des équilibres plastiques précaires, conséquence de sa remise en question de la perspective albertienne traditionnelle, avec le double thème de l’atelier et du paysage à la suite de Bonnard, avec lequel il s’était lié dans le midi.

Avec le cycle des grands Ateliers (1948-1952), le travail du dessin renforce les structures ordonnées par le jeu des aplats colorés et confirme sa prédilection pour la verticalité. Celle-ci est à interpréter comme une métaphore de l’homme debout, menacé de tomber, de même la peinture remise chaque jour sur le métier affronte le risque du déséquilibre. Un trait vibrant cerne les plans animés par de subtils rapports de tons dans une palette qui acquiert une autonomie en démultipliant les tonalités froides : les bleus, les gris, les roses, les violets clairs. Laboratoire, lieu intime et creuset de la création de celui qui se référait à la pensée de Lao-Tseu, l’atelier permet une méditation constante sur sa relation à l’espace qui l’entoure.

Dans la décennie des années 50, ses compositions cristallisent son sujet : des Intérieurs dans lesquels, fonds et formes s’interpénètrent, avant que ceux-ci soient dissociés quelques années plus tard. Ce passionné d’architecture entretient des liens avec ses compatriotes du Siècle d’or, de Saenredam, Vermeer à Mondrian pour leur attention commune portée à l’épure, aux problèmes spatiaux. Pour ses évocations furtives de châssis, de chevalet, de tableaux et de miroir, de fenêtre, Geer van Velde ne retient que la « substance » ou le « substratum linéaire » de Proust. Le regard embrasse la surface, distingue des formes géométriques (rectangles, losanges, carrés) ajustées comme pour une construction, sans qu’aucun des éléments ne soit figuratif. Comment ne pas penser au pavement des intérieurs de Vermeer ou encore aux losanges suspendus sur les piles des églises de Saenredam. Pour finir l’objet du tableau se confond avec l’intériorité.

Au tournant des années soixante, l’élaboration géométrique se meut en un espace intime dans lequel la lumière atteint à la spiritualité. Une présence lumineuse transcende sa composition qui élague formes et couleurs dans un jeu de déséquilibre- équilibre pour traduire un mouvement circulaire d’où naissent les souffles vitaux.
Ses surfaces chromatiques suggèrent une lente montée vers l’infini, une musique du silence. C’est là toute la spécificité de ce que l’on nommera son style. Geer van Velde « croit que la peinture devrait signifier sa propre affaire, c’est-à-dire la couleur ».

Lydia Harambourg.
Membre correspondant de l’Institut, Académie des Beaux-Arts
Auteur du dictionnaire des Peintres de l’Ecole de Paris 1945 – 1965. Editions Ides et calendes, 1993, rééditions en 2010.
Préface du catalogue d’exposition « Geer van Velde », 16 mai – 15 juillet 2012, Galerie Fleury, Paris


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“Alchimiste de la lumière Geer van Velde recourt à la vibration de la couleur et à la matière pour rendre tangible l’espace”

Lydia Harambourg

Geer van Velde à Cachan en 1952

Oeuvres

Geer van Velde

Composition bleue, c.1951
Huile sur toile
134 x 146 cm | 52 3/4 x 57 1/2 in.

Geer van Velde, Composition

1961

Geer van Velde, Composition

1948-1949

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