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Tête d’homme | 1924

Février - mars 2025

La galerie A&R Fleury propose de découvrir une sculpture exceptionnelle d’Ossip Zadkine. L’œuvre est présentée en écho à l’exposition « Modigliani / Zadkine, une amitié interrompue » au musée Zadkine.

Réalisée quelques temps après la mort de Modigliani, elle évoque la profonde amitié entre les deux artistes et leurs influences communes, mais témoigne également du génie d’Ossip Zadkine, qui a marqué de son empreinte l’École de Paris et l’histoire de l’art moderne.

Ossip Zadkine (1888 -1967)

Tête d’homme, 1924
Albâtre
38 x 22 x 20 cm

“Zadkine découvrit que le drame de la création se joue entre trois protagonistes seulement : sa sensibilité, la matière et ses mains.
Avant toutes les notions et toutes les influences, il y a comme le statut primordial de la sensibilité.”

Maurice Raynal

Atelier de la rue Rousselet, vers 1925

Dans les années 1920, la figure humaine devient l’un des sujets principaux d’Ossip Zadkine. La statuaire greco-romaine et le motif de la tête s’imposent en effet comme les thèmes de prédilection des sculpteurs d’avant-garde, et sont pris comme autant de moyens d’échapper à la brutalité de la Première guerre mondiale.

Réalisée en 1924, Tête d’homme se fait l’incarnation du zeitgeist de l’époque.

La simplicité des traits confère à la figure cette âme primitive chère au sculpteur, influencé par la sculpture romane, mais aussi « les fétiches nègres » et leurs « frères égyptiens, grecs et assyriens » — un syncrétisme qui trouve à l’époque sa source dans la découverte et l’incorporation par les artistes d’avant-garde de modes de représentation extra-occidentaux pour retourner à des formes jugées plus essentielles et originelles.

Réalisée en taille directe dans de l’albâtre, le sculpteur laisse s’exprimer la pierre à travers des arrondis qui suivent la forme de la matière première et que les cheveux, stries gravées en incurvations régulières, soulignent davantage.

La dualité du visage, gravé d’un côté et dessiné de l’autre, évoque également cette inversion des volumes propre au cubisme. Si Zadkine participe au mouvement très brièvement, entre 1921 et 1923 seulement, il le marque de son empreinte en réalisant à ce moment parmi ses plus grands chefs-d’œuvre.

Nourrie par cette approche sculpturale d’une remarquable modernité, Tête d’homme symbolise dans le même temps le retour de l’artiste au lyrisme singulier qui imprègne ses créations, affranchie des angularités du style cubiste. D’une grande force expressive, cette pièce historique tient ainsi une place exceptionnelle dans sa production. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la différence du modelage où la sculpture se réalise à partir d’une matière informe, malléable et aisément modifiable, la taille directe met l’artiste en présence d’un matériau qui a déjà une masse, un volume, qui exprime déjà quelque chose par lui-même en raison de la longue histoire géologique inscrite en lui quand il s’agit d’une pierre et du phénomène de la croissance si c’est un bois.

 

Cette technique qui fut l’une des conditions du renouvellement de la sculpture au début du siècle permit la rupture avec la pratique généralisée de la transposition dans le marbre, non pas par l’artiste lui-même mais par des praticiens, de modèles en plâtre. Rodin lui-même était resté attaché à cette tradition. La taille directe, comme l’entendait Zadkine […] permet à l’artiste d’improviser son œuvre en la concevant au fur et à mesure qu’il l’exécute […], dans un état constant de spontanéité…

 

Ossip Zadkine, L’œuvre sculpté. Catalogue raisonné

Ossip Zadkine dans son atelier de la rue Rousselet, vers 1926. Photographie Marc Vaux © ADAGP

La forêt environnante de son enfance à Vitebsk en Biélorussie dote Ossip Zadkine d’une sensibilité particulière pour la nature et la matière. Plus tard en Angleterre, son expérience en ébénisterie lui procure un savoir-faire qu’il n’aura de cesse de parfaire.

En 1924, il ne jure encore que par la taille directe. Principal représentant de la technique, elle lui octroie ce rapport direct au bois ou à la pierre, et fait partie intégrante de son identité artistique et de sa manière d’envisager la sculpture.

Le sculpteur atteint dans les années 1920 une maturité artistique formulée par la réalisation d’œuvres d’une grande maîtrise technique et d’une sensualité radicale, qui découle de son approche artistique en prise avec la matière.

 

Arrivé à Paris en 1910, Ossip Zadkine découvre la scène parisienne et deviendra bientôt une figure essentielle de l’École de Paris.

Il rencontre Modigliani et les deux deviennent très vite grands amis ; ils partagent à leurs débuts les vicissitudes de la vie de jeune artiste, ainsi qu’une esthétique née de sources d’inspiration communes et d’un goût pour la beauté et la noblesse des formes archaïques.

L’élongation du visage de Tête d’homme, la longueur de la nuque, les yeux rapprochés et étirés en amande évoquent inévitablement les figures du peintre italien, et cette stylisation caractéristique révèle les liens étroits unissant les deux artistes.

Échappant à l’influence de Rodin, Zadkine s’inscrit dans la lignée de Brancusi, son aîné, et devient l’un des principaux acteurs de l’avant-garde de la première moitié du XXe siècle en proposant de nouvelles formes de représentation.

L’influence de Brancusi se fait particulièrement sentir dans le Baiser, réalisé dans les mêmes années que Tête d’homme en taille directe dans un bloc de pierre, qui lie géométrie et simplicité des lignes. Tant moderne que primitif, l’artiste invoque une nouvelle réalité plastique qui trouve sa source dans l’essence même des formes.

Cet élan, qui imprègne le travail de Zadkine, se retrouve dans les portraits de Picasso et les traits de ses visages. Aussi, « Pour Zadkine […], la taille directe est la technique la plus apte à inscrire son œuvre dans le grand courant de primitivisme ou d’archaïsme dont Gauguin fut l’initiateur », rappelle Sylvain Lecombre.

Constantin Brancusi, Le baiser, 1923-1925, pierre (calcaire brun) © Centre Pompidou

Ossip Zadkine, Tête de femme, 1924, albâtre © Museum Boymans Van Beuningen, Rotterdam

Helena Rubinstein tenant des masques gouro et fang, 1934 © Point de vue | Appartement d'Helena Rubinstein, 1952

La quasi totalité des sculptures de Zadkine réalisées à dans les années 20 appartiennent aujourd’hui à de très importantes collections privées et publiques.

Elles sont notamment conservées au Centre Pompidou et au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, au MoMA à New York, à la Tate Gallery à Londres, au Stedelijk Museum à Amsterdam, au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington, à l’Israel Museum à Jérusalem, à la Art Gallery of New South Wales à Sydney…

Tête d’homme, 1924, pour sa part, rend compte d’une provenance exceptionnelle. Alors que Zadkine rencontre un succès critique et commercial grandissant en France et en Europe, la sculpture attire le regard de la plus grande collectionneuse de son temps et fervente défenseur des arts Helena Rubinstein, qui l’acquiert en 1927 et l’intègre à sa prestigieuse collection où elle restera jusqu’à la fin de sa vie.

Pour aller plus loin…

 

Le musée Zadkine présente l’exposition « Modigliani / Zadkine, une amitié interrompue » du 14 novembre 2024 au 30 mars 2025 et revient sur l’œuvre du peintre et du sculpteur à travers une sélection d’œuvres historiques réalisées au cours des années 1910 et 1920, auxquelles Tête d’homme fait pleinement écho.

L’exposition se concentre sur les influences croisées entre les deux artistes ainsi que sur leur amitié artistique, jamais explorée jusqu’alors, à travers près de 90 œuvres, peintures, dessins, sculptures mais également documents et photographies d’époque.

« Modigliani / Zadkine, une amitié interrompue », musée Zadkine, Paris, 2024 © Guy Boyer

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