Né à Rodez en 1919, Pierre Soulages est le plus grand peintre français de l’abstraction des XXe et XXIe siècles. Célébré pour son œuvre radicale, il a passé sa vie à explorer les possibilités lumineuses offertes par la couleur noire. Aux côtés de Georges Mathieu et Hans Hartung, il est l’un des pionniers de l’abstraction lyrique qui émerge à Paris dans l’immédiat après-guerre.
Très jeune, Soulages commence déjà à peindre. Il est marqué par l’art pariétal de sa région natale et l’architecture romane qu’il découvre à l’abbatiale de Conques. Les vitraux de l’église font naître chez lui des questions autour de la lumière, qui sera au cœur de sa vie et de son œuvre à venir. Admis aux Beaux-Arts de Paris à 20 ans, il renonce rapidement à son enseignement qui lui semble trop conformiste ; avant de retourner à Rodez toutefois, il découvre l’art moderne et la peinture de Cézanne et de Picasso, qui le marquent profondément. Sa sensibilité s’éveille peu à peu à l’art abstrait, auquel il se voue définitivement au sortir de la guerre lorsqu’il retourne à Paris pour se consacrer pleinement à la peinture.
À partir de 1947, Soulages commence à faire usage du brou de noix. Appliquée à l’aide d’outils de peintres en bâtiment, cette matière fluide produit de puissants effets de contraste à côté de la blancheur du papier laissé en réserve. Les compositions sont faites d’un réseau de tracés bruns à l’aspect sobre et dépouillé. Présentées pour la première fois au salon des Surindépendants en 1947, ses œuvres attirent l’attention et reçoivent l’accueil élogieux tant de ses pairs que de la critique. L’une d’entre elles est choisie en 1948 pour figurer sur l’affiche de « Wanderausstellung französischer abstrakter Malerei », première exposition collective allemande dédiée à l’art abstrait depuis la fin de la guerre.
La peinture de Soulages n’entretient aucun rapport avec le réel. Telle qu’il la conçoit déjà en 1948, sa peinture est « une organisation, un ensemble de relations entre les formes, lignes, surfaces colorées, sur lequel vient se faire et se défaire le sens qu’on lui prête ». Aucune représentation du monde donc, aucun signe, aucun symbole, mais la présence de celui-ci, immobile et silencieux, enraciné dans la matière. Reconnu très rapidement comme l’un des pionniers de l’abstraction lyrique, Soulages produit une œuvre singulière, différente, et sa peinture s’inscrit pleinement au cœur du débat sur le rapport de l’abstraction au réel qui agite la scène artistique d’après-guerre.
En 1949 a lieu sa première exposition personnelle à la galerie Lydia Conti. Sa carrière est lancée et ne tarde pas à s’épanouir au-delà des frontières nationales, aux États-Unis notamment. Soutenu par James Johnson Sweeney, il prend part à l’exposition itinérante « Advancing French Art » puis à « Younger European Artists » au Guggenheim Museum en 1953, et en 1954, à « The New Decade » au MoMA à New York.
Après ces années décisives le voient devenir l’une des figures de proue de l’avant-garde, Soulages poursuit sa quête picturale et explore de nouvelles voies. Aux côtés de ses compositions de noir sur fond clair, de nouvelles œuvres apparaissent où le noir s’associe à d’autres couleurs. La palette reste volontairement restreinte mais produit des accords d’une grande subtilité, jouant des contrastes et de la transparence des couleurs.
L’année 1979 marque le début de la série des « outrenoirs », la plus célèbre du parcours de Soulages et l’aboutissement d’années de recherches. La couleur noire recouvre désormais intégralement la surface de la toile. À l’aide d’outils que le peintre invente lui-même, la matière est appliquée en couches épaisses et en passages successifs pour créer différents états de surface, des aplats, striures, rayures, reliefs — tout un vocabulaire de la matérialité qui structure un espace à la dimension indéniablement sculpturale. De cette étendue intégralement noire, la lumière jaillit et offre d’infinies variations aux yeux de celui qui la regarde. Inséparables, le noir et la lumière se conjuguent dans la peinture de Soulages qui porte en elle un mystère universel qui jamais ne cesse de nous interroger.
L’œuvre de Soulages est couronnée par l’ouverture en 2014 d’un musée dans sa ville natale suite à une importante donation. À l’occasion de son centenaire en 2019, le Louvre lui consacre, de son vivant, une rétrospective, hommage et privilège que seuls Marc Chagall et Pablo Picasso ont connu avant lui. Il décède le 25 octobre 2022 à l’âge de 102 ans, après plus de soixante ans d’activité.
Plus d’une centaine de collections publiques à travers le monde parmi les plus importantes présentent les œuvres de Pierre Soulages, à l’image du Centre Pompidou et du Musée d’Art Moderne de Paris, de la Tate Gallery à Londres, du MoMA et du Solomon R. Guggenheim à New York.