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Geneviève Claisse | Une abstraction vivante

27 octobre - 3 décembre 2022

Artiste française incontournable de l’abstraction géométrique, Geneviève Claisse (1935-2018) a ancré dès les années 50 son œuvre autour de la question spatiale et de l’équilibre des formes. Sa première exposition personnelle en 1958 lui ouvre rapidement la voie du succès et de la reconnaissance. Elle est l’une des rares artistes à trouver la voie de l’abstraction dès ses débuts et à la suivre inlassablement. Ses œuvres ont intégré de nombreuses collections publiques aux États-Unis, au Japon et en Europe, dont celles du Musée Matisse au Cateau-Cambrésis, qui lui consacre une salle d’exposition permanente.

Dévoilant plusieurs décennies d’expérimentations, notre exposition se concentre tout d’abord sur  le processus géométrique qu’elle a mis en place au cours des années 60. Trouvant immanquablement le juste équilibre entre discipline et intuition, Geneviève Claisse joue avec l’extrême simplicité des formes métamorphosées par les variations des combinaisons de couleurs. Son approche artistique a toujours été pure et cohérente, ainsi reconnaissable dans presque toutes ses œuvres.

Renouveler le langage plastique à partir de figures géométriques fondamentales est l’enjeu magnifiquement accompli par Geneviève Claisse. Dès les années soixante son choix indéfectible pour une géométrie colorée va de pair avec son refus total de narration et devient le manifeste de ce qui sera tout son œuvre :  une abstraction systématique au service de la ligne, de la forme, de la couleur, étrangère à toute figuration par le refus de toute compromission à une référence imagée existante.

Ainsi appartient-elle à une catégorie de créateurs soucieux d’un parcours mené en dehors des modes dans une indépendance assumée jusqu’à la fin dans laquelle entraient une rigueur d’expression, une radicalité de pensée associée à une richesse d’invention qui sont les signes d’une artiste authentique. Son imagination créative et sa science innée de la couleur poussée à son paroxysme ont ouvert dès 1963-1964 des périodes séquentielles issues d’un processus de simplification et de reconstruction. Tout commence par le dessin exercé avec les formes intangibles du carré, du triangle et du cercle. Sa proximité de Herbin dont elle a partagé l’atelier l’a conduite à faire siens les principes de perfection dans l’exécution, la pureté des formes, l’absence de perspective, l’élimination de la dualité forme/fond. Là s’arrêtent les principes de travail du maître dont elle rejette les règles de composition de l’Alphabet Plastique qu’il s’était imposé.

Geneviève Claisse dans son atelier. Courtesy de l'artiste.

Au dynamisme des formes anguleuses et des obliques répond le statisme des parallélogrammes rectangles, aux droites s’associent des arcs de cercle, aux formes rectilignes s’associent des formes circulaires.

Ses variations autour de ces deux figures fondamentales la font passer d’une composition forme/couleur, fondement de l’abstraction géométrique, à une composition mouvement/forme/couleur. Elle renouvelle ses recherches plastiques dans des combinaisons d’où la dimension ludique n’est pas exclue. La couleur aux aplats unicolores successifs posés à main levée en trois ou six couches lissées au pinceau de martre, participe à la perception intense de mouvement et suggère une vibration très singulière, conséquence de l’attention particulière qu’elle porte à une technique parfaite. Dans ce temps long de réalisation, le travail se fait en deux temps. La première étape consiste à dessiner des esquisses dans un carnet, dont elle percevra plus tard immédiatement, la couleur, l’espace, le mouvement. S’en suit le choix de formes en mouvement en vue de compositions libres. L’esquisse sélectionnée n’est jamais retouchée mais transcrite en tableau après un dessin plus précis, suivi d’une gouache et enfin par son développement à l’échelle définitive. Ses outils sont la règle et le compas, mais elle insiste sur le fait que l’algèbre n’entre jamais dans sa réflexion d’où tout calcul est absent.

Pour Geneviève Claisse ce qui compte dans l’abstraction c’est la création pure et libre. Chaque forme appelle une couleur. La cohabitation des couleurs n’est satisfaisante que s’il y a équilibre entre elles, à travers les formes, entre espace et mouvement.

Dès ses premières recherches à l’huile ou à la gouache, Geneviève Claisse établit les bases d’une abstraction géométrique pure dans des compositions qui tendent à suggérer la multiplicité des espaces et le mouvement.

Sa démarche cinétique dépasse le constructivisme par un mode d’expression instantané dans un concept abstrait transformé en poésie spatiale. Elle aborde les problèmes plastiques avec des obliques conjuguées à des arcs de cercle et des parallélépipèdes irréguliers qui rythment et arrêtent les lignes ou les libèrent dans des conjugaisons scabreuses. Encore incertaine, l’œuvre oscille entre les formes ouvertes et les formes closes prémonitoires des triangles et des cercles.

Geneviève Claisse se sent à l’aise avec l’abstraction, une expression naturelle qu’elle exerce librement et pourrait-on dire instinctivement. Son évolution la conduit à entreprendre des thèmes. Il s’agit d’entités constitutives d’ensembles qui surprennent par leur netteté formelle, une économie de moyens, un sens de l’équilibre relevant d’une grande maîtrise graphique.

Ce sont d’abord des Triangles noirs sur toile blanche.

Selon l’artiste la forme triangulaire exige le noir et le blanc, perçus comme couleurs pour un contraste maximum qui résout le problème fond/forme, plein-vide, positif-négatif par le mouvement permanent des espaces mis en abîme. Le noir est-il appliqué sur le blanc ou

est-ce le blanc qui découpe le noir ? Les pointes acérées des triangles s’interpénètrent, forment des faisceaux absorbés par l’espace de la toile ou bien réapparaissent à un autre endroit du tableau. Apparaissent ensuite les séries sur le thème Cercles, antithèse du triangle qui connaîtra pendant dix ans une postérité signifiante.

“Débarrassée de l’objet, de l’anecdote et de toutes les béquilles de la peinture traditionnelle, la peinture que je pratique s’exprime par le rapport entre
formes et couleurs.”

Geneviève Claisse

Le cercle est pour moi la forme parfaite : pureté, perfection et joie. Les couleurs naissent naturellement du cercle, perfection vécue des couleurs pures écrit-elle. Avec cette figure parfaite, le hasard n’a plus sa place. Triangles et Cercles apportent une vision d’espaces multilinéaires et un mouvement qui situent naturellement Geneviève Claisse dans les courants  Mouvement  et l’Optical art.

L’équilibre et le dynamisme, deux recherches non antinomiques mais complémentaires dans une composition immuable par exemple où trois cercles animent un rythme interne par interaction. Du changement d’une seule couleur naît une diversité de visions. 

Jusqu’en 1972 Geneviève Claisse peint à l’huile, avant d’adopter définitivement la peinture acrylique. Le nombre de couches de couleur varie selon la densité ou la transparence des pigments, ainsi des cadmiums opaques et de l’outremer translucide. Elle prépare sa toile en la recouvrant jusqu’à six couches homogènes afin d’atténuer toutes aspérités pour obtenir un effet de peau qui garde sa souplesse tactile. Elle peut entreprendre sa peinture par un tracé définitif à la mine graphite en suivant très scrupuleusement un modèle grandeur nature sur papier cristal. L’ultime étape consiste au tracé au tire-ligne chargé de peinture. Aussi parfaite qu’est sa technique, elle la met toujours au service de son intuition initiale.

Le thème « Cercles » évolue. Tout en intériorité le cercle se prête à des emboîtements simultanés jouant de leur inégalité dans des compositions où ils se décentrent. Chaque composition varie selon la gamme de couleurs des cercles et de la surface portante. La perfection vécue des couleurs pures déclenche des effets variés, des surprises visuelles par la force d’attraction dégagée par ces formes circulaires colorées. Nous voici confrontés à un illusionnisme aussi séduisant que troublant par la simulation d’un strabisme selon que les couleurs irradient ou semblent fixes. Dans une organisation active, « organisaction active » aurait dit Edgar Morin, les propositions se déclinent :  deux cercles concentriques sont inscrits dans deux autres cercles concentriques, ils sont sécants ou tangents. Réunis en séries, les cercles s’alignent verticalement dans une régularité contredite par un effet cinétique saisissant provoqué par la gamme des couleurs dont l’artiste exploite la tension de chacune appliquée aux formes circulaires. Le dynamisme qui en découle est à chercher chez Robert Delaunay plutôt que chez les Futuristes.

 

Lydia Harambourg
Historienne de l’art et correspondant de l’Académie des Beaux-Arts

Geneviève Claisse | Une abstraction vivante
Extrait du catalogue de l’exposition

“Le cercle pour moi est la forme parfaite : pureté, perfection et joie.”

Geneviève Claisse

Oeuvres

Geneviève Claisse

Alpha, 1966
Huile sur toile
114 x 195 cm.

Geneviève Claisse, Kira

1966

Geneviève Claisse, Cercles

1966

Geneviève Claisse, Unités

1970

Geneviève Claisse, ADN

1972

Presse

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