Né en Russie, le peintre Serge Poliakoff est une figure majeure de l’École de Paris, qui a permis le renouvellement de l’abstraction après la seconde guerre mondiale. Faites de formes libres imbriquées et de superpositions de larges aplats colorés, ses compositions témoignent des recherches de l’artiste sur l’intensité de la couleur, l’équilibre de la construction et les effets de vibration et de transparence de la matière ; « la transparence donne la vie », disait-il. En plus de trois décennies de travail tourné vers l’abstraction pure, Poliakoff aura éprouvé de nombreux supports : toiles, papiers, lithographie, jusqu’aux décors de théâtre.
Les biographies dédiées à l’artiste aiment raconter la vie romanesque de cet homme né à Moscou en 1900 qui, ayant fui la Révolution bolchevique de 1917, vagabonde d’abord de Constantinople à Londres avant de s’installer à Paris. Longtemps, il y vit une vie de bohème et joue de la guitare dans les cabarets russes : son succès est tardif et vingt ans lui sont nécessaires pour parvenir à une reconnaissance en tant que peintre, après de nombreuses années de formation dans diverses académies de peinture, dont celle de la Grande Chaumière.
Certaines rencontres sont décisives et permettent à Poliakoff d’en venir à l’abstraction. En 1937, année de la fermeture du Bauhaus, il découvre Vassily Kandinsky, venu s’installer à Paris quatre ans plus tôt. S’il ne retient pas tout de l’approche picturale du grand maître de l’abstraction, cette entrevue marque un tournant dans sa vie et le conforte dans la poursuite de sa propre voie. Puis, au contact du couple Delaunay qu’il fréquente régulièrement dès 1938, il s’initie à la théorie des contrastes simultanés. Mais c’est d’Otto Freundlich, dont il fait la connaissance la même année, qu’il est probablement le plus proche. Les compositions en plans chromatiques fragmentés, la recherche de l’équilibre des formes-couleurs et la sensibilité de ce grand humaniste l’impressionnent et le marquent profondément.
Ces rencontres et l’évolution progressive de l’art de Poliakoff vers l’abstraction pure font écho à des chocs visuels qui confèrent à sa démarche picturale une dimension quasi mystique. Dans le souvenir persistant des églises russes que sa mère lui faisait visiter enfant, demeure une fascination pour la beauté mystérieuse et sévère des icônes religieuses, le cloisonnement de leurs couleurs et la juxtaposition des espaces. Plus tard, lors de la visite de l’artiste au British Museum, il découvre les sarcophages égyptiens. En grattant la surface de l’un d’entre eux, il met au jour la superposition des couches de matières, révélant les effets de transparence et de vibration produites par ce procédé. De ces impressions déterminantes et des leçons fondamentales qu’il en tire, Poliakoff livre une œuvre éternelle.
Le travail de Poliakoff est identifiable d’un seul coup d’œil et s’ancre dans un dialogue incessant entre formes et couleurs pures. Son langage formel, pris pour lui-même, est la matière vivante et vibrante que Poliakoff, en grand architecte, use pour construire des compositions uniques, guidé par une constante recherche d’équilibre des formes. Au-delà de cette technique, l’originalité de l’œuvre de Poliakoff repose sur sa dimension sensuelle et méditative. Elle invite au calme et à la contemplation, échappe à l’analyse.
En 1945, sa première exposition personnelle à la galerie l’Esquisse lui ouvre la voie d’une reconnaissance internationale. Huit ans plus tard, en 1953, il fait l’objet d’un solo show à la galerie Circle & Square de New-York et conquiert le public américain. En 1962, alors qu’il reçoit la nationalité française, une salle lui est dédiée à la Biennale de Venise. Il reçoit le prix Kandinsky en 1947 et celui de la Biennale de Tokyo en 1965. Sa première grande rétrospective a lieu peu de temps après son décès, en 1970, au Musée d’Art Moderne de Paris. Les œuvres de Poliakoff sont aujourd’hui conservées dans les collections de très nombreux musées dont la Tate Gallery, le Centre Pompidou, le MoMA ou encore le Kunstmuseum de Bern.